Les créations

Manifeste pour sortir de la Grise

Rêve, poésie et symbole !
Un manifeste pour sortir de la Grise !

Nous ne sommes pas en crise mais en grise ! Nous souhaitons analyser ici les causes de cette grise et proposer une thérapeutique pour en sortir.

Signalons d'abord qu'il existe 256 niveaux différents de gris, que la couleur grise n'est pas l'antichambre du noir ni la chambre noire du blanc, ni un «à-mi-chemin» tiède entre le blanc et le noir. Le gris est l'antichambre de l'espérance. Qui traverse le gris part à la conquête de la lumière.

Grand spécialiste des couleurs, Pastoureau signale qu'au XVe siècle le gris à perdu son statut de sous-couleur, de sous-noir, pour accéder à un nouvel état, que l'on pourrait qualifier «d'anti-noir!».

Dans un de ses poèmes, Charles d'Orléans, prince-poète français, prisonnier et exilé en Angleterre, s'habille de gris pour garder l'espoir et écrit :

«Il vit en bonne espérance
Puisqu'il est vestu de gris,
Qu'il aura à son devis,
Encore sa désirance.

Combien qu'il soit hors de France
Par deça le Mont Senis
Il vit en bonne espérance
Puisqu'il est vestu de gris.»

Nous traversons aujourd'hui une grise grave! Grise économique, grise de l'Euros, grise de confiance. L'épaississement de cette grise dans tous les coins de notre humanité nous conduit à faire un constat alternatif : Nous crevons aujourd'hui d'une triple asphyxie : asphyxie onirique, poétique et symbolique.

Le constat est sans appel. Nous ne rêvons plus et plus grand-chose nous fait rêver, la laideur a débordé des faubourgs, envahi le centre ville et entamé la campagne, et en perdant le sens du sacré, nous avons perdu l'intelligence du langage symbolique. Or, quand on asphyxie, l'urgence est de réanimer. Ainsi ce manifeste pour sortir de la grise est il également un manifeste thérapeutique de réanimation !

Nos rêves ? Presque deux heures par nuit, toutes les nuits, toute la vie ! Qu'en reste-t-il à nos réveils ? Pas grand-chose pour la plupart d'entre nous. Nous proposons d'inscrire les rêves humains au patrimoine de l'humanité et leur étude dans les programmes scolaires, au même titre que l'orthographe et l'informatique.

Nous implorons que la société renoue avec la poésie. Nous revendiquons la création d'écoles et d'universités pour l'apprentissage des langages symboliques. Nous soutenons également la création d'un État poétique, souverain et autonome, ouvert sur le monde, Membre de l'ONU. Nous proposons l'organisation de pèlerinages, circuits touristiques, vols low coast, échanges d'ambassades entre cet Etat poétique et tous les autres Etats du monde. Nous suggérons aux entreprises, aux banques, aux nations de réintroduire rêve, poésie et symbole au coeur même de leur activité et garantissons ainsi la relance que tout le monde espère. Mais pour parvenir jusqu'à ces buts, bien des préjugés sont à abattre. Einstein disait qu'il était aussi difficile de détruire un préjugé que de briser un atome. Alors armons-nous de patience et de détermination.

D'abord le rêve. L'étymologie de ce mot le fait remonter à l'ancien français « esver » qui signifiait vagabonder et du verbe «desver» : «perdre le sens». Bien du chemin parcouru depuis le XVe siècle où sont attestées ces significations. En 1900, Freud publie «La science des rêves». Le rêve y est abordé d'un point de vue médical et scientifique. Ce n'était pas la première fois dans l'histoire. Le philosophe grec Antiphon abordait déjà les rêves d'un point de vue thérapeutique dans la Grèce du quatrième siècle avant JC. Si on jouait sur les étymologies, je rapprocherais plus volontiers le verbe rêver du verbe réveiller. Le rêve nous réveille, nous éveille à une nouvelle conscience, pour autant que l'on s'y arrête. Les exemples ne manquent pas dans lesquels le rêve a stimulé une créativité prodigieuse.

Paul Mc Cartney a reçu la chanson « yesterday » dans un rêve, le chanteur rock Moby est aussi très attentif à ses rêves lorsqu'il enregistre un album. Le chimiste russe Mendeleïev qui a créé le tableau périodique des éléments chimiques en 1869 rapporte avoir obtenu en rêve la plus grande partie de sa découverte. Un physicien danois, Niels Bohr, rêva qu'il voyageait sur le soleil alors que des planètes reliés par de minces filaments tournaient autour de lui. Ce rêve lui donna le modèle de la structure de l'atome pour lequel il obtint le prix Nobel de physique en 1922. Richard Wagner écrivait à propos de Tristan et Yseult: «Pour une fois, vous allez entendre un rêve, un rêve que j'ai mis en musique ... J'ai rêvé tout cela; jamais ma pauvre tête n'aurait pu inventer une telle chose délibérément». Robert Louis Stevenson obtint en rêve une grande partie de ses textes, notamment l'étrange cas du Doctor Jekyll and Mister Hyde. Quant à Jean Cocteau qui reçut nombre d'écrits dans ses rêves, il disait: «Le poète est à la disposition de la nuit. Son rôle est humble ... il doit nettoyer la maison et attendre la visite à venir.»

Citons également ces nombreux cinéastes réalisant des films qui ressemblent à des rêves: Tim Burton, Bergman, Tarkovski, etc., et admettons que nous sommes nous-mêmes des créateurs méconnus et anonymes puisque nous faisons des rêves qui ressemblent à des films. Dès lors le premier préjugé à bombarder est que le rêve serait une forme de délire ou tout au moins une antiréalité et, depuis Freud, l'expression de nos désirs refoulés.

Il est probablement davantage le carburant de nos désirs. Le rêve nous enseigne! Et la formation est continue. Presque deux heures par jour d'enseignement, de connaissance et de sagesse. Encore faut-il, comme à l'école, un cahier, un stylo et noter ses rêves, en faire le commentaire composé, la critique littéraire. Et surtout en parler! Les petits déjeuners sont des moments privilégiés pour partager ses rêves. Certaines sociétés, par exemple les aborigènes d'Australie, intègrent leurs rêves dans leur vie. Le partage quotidien des rêves stimulent l'organisation sociale du village.

La poésie! Le sens commun en fait une activité oisive, romantique, fleur bleue. Un refuge ou une fuite. Là aussi le préjugé est solide. Là aussi l'étymologie fait réfléchir. Le mot poésie vient d'un verbe grec (poëin) qui signifie «Faire, construire». Il n'ya rien de plus concret et bâtisseur que la poésie. La poésie permet le réenchantement du monde, ce qui manque cruellement à nos sociétés décadentes. La poésie est la face sensible de l'alchimie. Lorsque Baudelaire sublime une charogne pourrissant dans un caniveau, il fait jaillir... les fleurs du mal. L'alchimie n'est pas un idéal périmé, bien au contraire. L'alchimie est une philosophie de la vie qui nous engage à décanter nos parts d'ombre pour en faire surgir une nouvelle conscience. Nos économies mondiales on réussi le coup d'éclat de faire de l'alchimie inversée. Plutôt que de transformer le plomb en or, elles ont transformé l'or en papier puis ont supprimé l'or.

On connait en Italie une maladie dénommée «maladie de Stendha». Elle atteint les touristes envahis d'émotion par une trop grande explosion de beauté. Évanouissement, crise de folie, délire, la beauté est si intense, notamment à Florence, que les sujets qui en sont submergés en perdent la tête! Le fait que cette maladie ait pratiquement disparu aujourd'hui n'est pas forcément un bon signe...

Le monde des symboles subit également préjugés et dérision. L'expression: «c'est symbolique» tombe comme le marteau d'un juge pour sanctionner un déni de réalité. De la même manière qu'un médecin affirmera «c'est nerveux» lorsqu'il ne comprend pas la cause d'une souffrance. Le «c'est symboliqu » est bien pratique pour justifier son ignorance. Or le symbole n'est pas un déni! C'est un demi... En effet, le symbole nous parle à demi de la moitié qui nous manque.

Au sens premier, symbole signifie: «Jeter ensemble». Ce mot était employé dans la Grèce antique pour désigner un objet coupé en deux morceaux dont chaque propriétaire conservait une partie pour se rappeler un serment ou une dette. En se familiarisant avec le monde symbolique on échappe au piège de la tautologie. C'est-à-dire l'enfermement dans la croyance limitative qu'une chose se borne à être cette chose et rien d'autre, comme dans l'expression: «un chat c'est un chat». Or nous savons bien depuis Baudelaire que:

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires

Un chat, c'est bien autre chose qu'un chat!

Le fait de s'intéresser à l'espace symbolique permet de lancer des passerelles d'un univers à un autre, décloisonner les savoirs, ouvrir son esprit. Parmi tous les symboles que l'on peut rencontrer, le Tarot jouit d'un privilège particulier. Lorsque j'ai créé le Tarot de Marrakech avec mon ami le peintre Jean-Baptiste Valadié, on m'a souvent demandé s'il existait une règle implicite à la création d'un Tarot. On connait beaucoup d'artistes et de créateurs qui se sont frottés à cet exercice. La seule réponse que j'ai pu trouver, suffisamment universelle, fut: la structure du chemin.

S'il n'y a pas «le chemin», le Tarot ne fonctionne pas. Il n'y a d'ailleurs pas grand-chose qui fonctionne aujourd'hui, quel que soit le domaine, s'il n'y a pas «du chemin». Le couple est un chemin. L'art est un chemin. Une thérapie est un chemin. Osons refaire en conscience le chemin qui nous a conduit là où nous en sommes aujourd'hui, et abordons avec humilité et sagesse le chemin qu'il nous reste à accomplir. Ce chemin on peut le faire de tant de manières distinctes. Les images archétypiques du Tarot illustrent bien la diversité du chemin. L'Hermite, bien sûr, qui avance avec la prudence d'un éclaireur et l'abnégation d'un père du désert; Le Mat qui traverse le monde, en quête d'une terre promise, avec l'assurance d'un Maître zen ou le cynisme d'un philosophe grec; l'Arcane XIII qui, à chaque pas posé sur le sol, brûle la terre déjà parcourue et le Chariot qui ne peut s'élancer dans la vie que s'il lâche ses freins.

Le Tarot, plus que tout autre symbole, est victime de nombreux préjugés. On associe la plupart du temps ce jeu de carte à un jeu divinatoire. Or il faut savoir que dans l'histoire des oracles on a toujours connu ce passage du niveau divinatoire au niveau philosophique. A l'origine du Yi King - par exemple - on considérait que, quelle que soit la question, il n'y avait que deux réponses possibles: un trait continu «Yang» signifiant «oui», un trait double «Yin» signifiant «non». Cela ne fut pas satisfaisant longtemps. Que la réponse soit «oui» ou «non» une autre question surgissait: «Qu'est ce que je dois faire?». Dés lors, l'oracle se transforma en livre de sagesse. Il en fut de même des Runes et du Tarot. Sans parler du test de Rorschach, si réputé dans le monde de la psychiatrie, qui provient à l'origine de la voyance sur tâches d'encre !

Le Tarot est donc un livre de sagesse avec lequel il est possible de dialoguer, pour mieux se connaître et mieux appréhender le monde dans lequel on évolue. Le Tarot n'a pas de réponses aux questions qu'on lui pose, mais nous pose des questions fondamentales pour nous faire avancer. Un peu comme les grands maîtres spirituels de la planète qui interrogent nos savoirs et nous aident à remettre en question nos certitudes plutôt que de nous offrir un savoir préfabriqué sans le service après vente.

En explorant les langages symboliques, en partageant nos rêves, en faisant de chacun de nos gestes un acte poétique, on rencontre l'autre dans sa différence et dans l'universalité de son humanité. Cette nouvelle éthique de la rencontre suscitera des alliances plus équitables, des enrichissements mutuels et des ressources inattendues pour une vraie sortie de grise. Sur la base de cette improbable règle d'or: Rêve/Poésie/Symboles, recréons un nouvel esprit citoyen. Partons à la rencontre des gens du nord avec les Runes, des peuples d'Orient avec le Yi King, des nomades du sud avec masques et totems et de nos frères et soeurs de l'ouest, les mains tendues, les bras remplis de fleurs, de fruits et de cristaux.... Mangeur de rêves, poète mal aimé, humain trop humain, mon frère, raconte moi ton symbole et je te dirai mes rêves...

Georges Colleuil
Marsanne,
le 8 février 2012

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de Georges Colleuil


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